JDK-AS
picture

LES TRIBUS JUIVES DU KEF

Marcus Fischer, historien allemand des 18/19èmes siècles, a consacré une part importante de sa vie à l’étude historique des juifs transplantés en Afrique du nord après la destruction du deuxième Temple de Jérusalem. Il en rechercha longtemps les traces lors de ses différents voyages en Tunisie.

Dans son ouvrage publié en 1817 à Budapest, il indique :
" Lors de la destruction du Temple de Jérusalem par Titus, beaucoup de juifs ont été transportés dans la province proconsulaire d’Afrique que les romains voulaient repeupler….... On rencontre aujourd’hui encore, (c’est à dire en 1817, date de parution de l’ouvrage), des vestiges de ces tribus juives nomades vivant sous la tente dans les environs de Gabès, au Kef, et sur le massif montagneux qui s’étend entre Béja et La Calle" (Texte cité par Didier Nebot dans ‘’ les tribus oubliées d’Israël’’).

’’Il s’agissait de juifs nomades et guerriers, présents alors surtout sur le territoire de Constantine et dans le sud Tunisien. Ils étaient surnommés par les musulmans Yehoud El Arab (juifs des arabes) et par leurs coreligionnaires Bahouzim…..Lorsqu’au 20eme siècle, on procéda au recensement des juifs vivant en Afrique du nord, on négligea l’origine particulière d’un grand nombre d’entre eux, imaginant que leurs ancêtres étaient dans leur grande majorité originaires d’Espagne".

"Au 19eme siècle, les seules communautés juives qui ne s’étaient pas totalement identifiées au mythe espagnol et qui restaient à peu près pures, gardant quelque souvenir de ce lointain passé, se trouvaient dans certains endroits du sud marocain, dans le pays du Djérid, au Kef, et dans la région située entre Souk-ahras et Constantine. C’étaient des nomades connus sous le nom de bahouzim -ceux qui arrivent du dehors, c'est-à-dire qui se trouvent en dehors du judaïsme officiel (Didier Nebot,’’ les tribus oubliées d’Israël’’).

JC Ganouna publie en 1912 un récit de voyage comprenant quelques descriptions des tribus juives vivant aux alentours du Kef :

’’Il existe, de par la Tunisie, du côté du Kef, en un coin perdu du Sers, une tribu berbère exclusivement campagnarde, entièrement composée d'israélites.
Ce sont des cultivateurs logeant sous la tente, menant une vie patriarcale étonnamment biblique, ne se mésalliant jamais, et ignorant le bruit des villes. Tels sont les Bahoussi, terme dont l'étymologie remonte limpidement à l'hébreu. La colonie berbère juive du Sers comprend cent tentes environ et est très prolifique.  
Chose curieuse, les Bahoussi ne savent pas lire l'hébreu, et pourtant, ils se transmettent oralement, d'une génération à l'autre, la plupart des traditions rituelles accompagnant les diverses circonstances de l'existence juive : circoncision à l'âge de huit jours (c'est le mohel du Kef qui fait cet office); première communion à treize ans; bénédiction nuptiale; prière des morts, etc...Ils prêtent serment par Adonaï, et savent prononcer le Schema Israël.

Chaque année, à l'occasion du Yom-Kippour, solennité du Grand Pardon, ils font à pied -et en masses - les quelques vingt-cinq kilomètres qui les séparent du Kef, où ils se rendent à la synagogue. Ne sachant pas lire, ils se contentent d'assister aux offices et d'embrasser à satiété le Seffer Thora…’’    (J.C. GANOUNA, "Le judaïsme Tunisien et Nord-Africain N°4, Novembre 1912 pp. 59-60)

C’est dans la ville du Kef que les juifs nomades se déplaçant dans les régions avoisinantes, vont s’installer par générations successives, cela pendant plusieurs siècles. Une fois sédentarisés au Kef, ils y exerceront différents métiers liés à leur ancien mode de vie : maréchal ferrant, cavalier itinérant etc...

Dans son ouvrage ‘’Etre juif au Maghreb à la veille de la colonisation’’, Jacques Taieb mentionne d’ailleurs quelques noms de famille recensés, au milieu des années 1800, parmi les membres des tribus juives. Le nom de famille ALLALI figure parmi ceux-ci. Précisément, ce sont trois familles, les familles SABBAH, ALLALI et SMADJA, d’origine bahouzim incontestable, qui constitueront du fait de la pratique des mariages interfamiliaux, la souche d’où sont issues presque toutes les familles juives du Kef.
Ce grand groupe inter-familial absorbera les petites familles périphériques, assez peu nombreuses, souvent venues d’autres villes de Tunisie pour des raisons diverses.

Au début de la seconde moitié du vingtième siècle, par l’effet de la sédentarisation, on ne trouve plus du tout trace de juifs nomades. A la même époque, la population juive du Kef s’établit à 313 personnes, derniers descendants directs des tribus juives issues de la déportation des tribus de Juda et Benjamin en l’an 70.